CHAPITRE XII Déposition d’Alice (9)
C’est ainsi qu’elle demeura assise, les yeux fermés, et se croyant presque
dans le Pays des Merveilles, bien qu’elle sût qu’elle n’avait qu’à rouvrir les
yeux pour que tout fût changé en une triste réalité : les herbes ne bruiraient
plus alors que sous le souffle du vent, et l’eau de la mare ne murmurerait plus
qu’au balancement des roseaux ; le bruit des tasses deviendrait le tintement
des clochettes au cou des moutons, et elle reconnaîtrait les cris aigus de la
Reine dans la voix perçante du petit berger ; l’éternuement du bébé, le cri du
Griffon et tous les autres bruits étranges ne seraient plus, elle le savait bien,
que les clameurs confuses d’une cour de ferme, tandis que le beuglement
des bestiaux dans le lointain remplacerait les lourds sanglots de la FausseTortue.
Enfin elle se représenta cette même petite sœur, dans l’avenir, devenue
elle aussi une grande personne ; elle se la représenta conservant, jusque dans
l’âge mûr, le cœur simple et aimant de son enfance, et réunissant autour
d’elle d’autres petits enfants dont elle ferait briller les yeux vifs et curieux
au récit de bien des aventures étranges, et peut-être même en leur contant le
songe du Pays des Merveilles du temps jadis : elle la voyait partager leurs
petits chagrins et trouver plaisir à leurs innocentes joies, se rappelant sa
propre enfance et les heureux jours d’été.