【Emile Zola】Le Ventre de Paris III (12)
Comme monsieur Verlaque l’aidait à se dégager, ils se trouvèrent face à
face avec la belle Normande. Elle resta plantée devant eux ; et, de son air
de reine :
– Est-ce que c’est bien décidé, monsieur Verlaque, vous nous quittez ?
– Oui, oui, répondit le petit homme. Je vais me reposer à la campagne,
à Clamart. Il paraît que l’odeur du poisson me fait mal… Tenez, voici
monsieur qui me remplace.
Il s’était tourné, en montrant Florent. La belle Normande fut suffoquée.
Et comme Florent s’éloignait, il crut l’entendre murmurer à l’oreille de ses
voisines, avec des rires étouffés : « Ah bien ! nous allons nous amuser,
alors ! »
Les poissonnières faisaient leur étalage. Sur tous les bancs de marbre,
les robinets des angles coulaient à la fois, à grande eau. C’était un bruit
d’averse, un ruissellement de jets roides qui sonnaient et rejaillissaient ;
et du bord des bancs inclinés, de grosses gouttes filaient, tombant avec
un murmure adouci de source, s’éclaboussant dans les allées, où de petits
ruisseaux couraient, emplissaient d’un lac certains trous, puis repartaient
en mille branches, descendaient la pente, vers la rue Rambuteau. Une buée
d’humidité montait, une poussière de pluie, qui soufflait au visage de Florent
cette haleine fraîche, ce vent de mer qu’il reconnaissait, amer et salé ;
tandis qu’il retrouvait, dans les premiers poissons étalés, les nacres roses, les
coraux saignants, les perles laiteuses, toutes les moires et toutes les pâleurs
glauques de l’Océan.