【Emile Zola】Le Ventre de Paris I (60)
Florent sentit un frisson à fleur de peau ; et il aperçut une femme, sur
le seuil de la boutique, dans le soleil. Elle mettait un bonheur de plus, une
plénitude solide et heureuse, au milieu de toutes ces gaietés grasses. C’était
une belle femme. Elle tenait la largeur de la porte, point trop grosse pourtant,
forte de la gorge, dans la maturité de la trentaine. Elle venait de se lever, et
déjà ses cheveux, lissés, collés et comme vernis, lui descendaient en petits
bandeaux plats sur les tempes. Cela la rendait très propre. Sa chair paisible,
avait cette blancheur transparente, cette peau fine et rosée des personnes qui
vivent d’ordinaire dans les graisses et les viandes crues. Elle était sérieuse
plutôt, très calme et très lente, s’égayant du regard, les lèvres graves. Son col
de linge empesé bridant sur son cou, ses manches blanches qui lui montaient
jusqu’aux coudes, son tablier blanc cachant la pointe de ses souliers, ne
laissaient voir que des bouts de sa robe de cachemire noir, les épaules rondes,
le corsage plein, dont le corset tendait l’étoffe, extrêmement. Dans tout ce
blanc, le soleil brûlait. Mais, trempée de clarté, les cheveux bleus, la chair
rose, les manches et la jupe éclatantes, elle ne clignait pas les paupières,
elle prenait en toute tranquillité béate son bain de lumière matinale, les yeux
doux, riant aux Halles débordantes. Elle avait un air de grande honnêteté.
– C’est la femme de votre frère, votre belle-sœur Lisa, dit Gavard à
Florent.
Il l’avait saluée d’un léger signe de tête. Puis, il s’enfonça dans l’allée,
continuant à prendre des précautions minutieuses, ne voulant pas que Florent
entrât par la boutique qui était vide pourtant. Il était évidemment très
heureux de se mettre dans une aventure qu’il croyait compromettante.