【Emile Zola】Le Ventre de Paris IV (108)
Marjolin allait avoir huit ans, et Cadine six, quand la mère Chantemesse
leur fit honte de leur paresse. Elle leur dit qu’elle les associait à sa vente
au petit tas ; elle leur promit un sou par jour, s’ils voulaient l’aider à
éplucher ses légumes. Les premiers jours, les enfants eurent un beau zèle. Ils
s’établissaient aux deux côtés de l’éventaire, avec des couteaux étroits, très
attentifs à la besogne. La mère Chanmesse avait la spécialité des légumes
épluchés ; elle tenait, sur sa table tendue d’un bout de lainage noir mouillé,
des alignements de pommes de terre, de navets, de carottes, d’oignons
blancs, rangés quatre par quatre, en pyramide, trois pour la base, un pour
la pointe, tout prêts à être mis dans les casseroles des ménagères attardées.
Elle avait aussi des paquets ficelés pour le pot-au-feu, quatre poireaux, trois
carottes, un panais, deux navets, deux brins de céleri ; sans parler de la
julienne fraîche coupée très fine sur des feuilles de papier, des choux taillés
en quatre, des tas de tomates et des tranches de potiron qui mettaient des
étoiles rouges et des croissants d’or dans la blancheur des autres légumes
lavés à grande eau. Cadine se montra beaucoup plus habile que Marjolin,
bien qu’elle fût plus jeune ; elle enlevait aux pommes de terre une pelure si
mince, qu’on voyait le jour à travers ; elle ficelait les paquets pour le potau-feu
d’une si gentille façon, qu’ils ressemblaient à des bouquets ; enfin,
elle savait faire des petits tas qui paraissaient très gros, rien qu’avec trois
carottes ou trois navets. Les passants s’arrêtaient en riant, quand elle criait
de sa voix pointue de gamine :
– Madame, madame, venez me voir… À deux sous, mon petit tas !