【Emile Zola】Le Ventre de Paris IV (110)
C’était toute une grosse affaire. Elle se levait de bon matin, achetait
aux vendeurs en gros sa provision de mouron, de millet en branche,
d’échaudés ; puis elle partait, passait l’eau, courait le quartier Latin, de la
rue Saint-Jacques à la rue Dauphine, et jusqu’au Luxembourg. Marjolin
l’accompagnait. Elle ne voulait pas même qu’il portât la hotte ; elle disait
qu’il n’était bon qu’à crier ; et il criait sur un ton gras et traînant :
– Mouron pour les p’tits oiseaux !
Et elle reprenait, avec des notes de flûte, sur une étrange phrase musicale
qui finissait par un son pur et filé, très haut :
– Mouron pour les p’tits oiseaux !
Ils allaient chacun sur un trottoir, regardant en l’air. À cette époque,
Marjolin avait un grand gilet rouge qui lui descendait jusqu’aux genoux,
le gilet du défunt père Chantemesse, ancien cocher de fiacre ; Cadine
portait une robe à carreaux bleus et blancs, taillée dans un tartan usé de la
mère Chantemesse. Les serins de toutes les mansardes du quartier Latin les
connaissaient. Quand ils passaient, répétant leur phrase, se jetant l’écho de
leur cri, les cages chantaient.