【Emile Zola】Le Ventre de Paris III (15)
Monsieur Lebigre tenait un fort bel établissement, d’un luxe tout
moderne. Placé à l’encoignure droite de la rue Pirouette, sur la rue
Rambuteau, flanqué de quatre petits pins de Norvège dans des caisses
peintes en vert, il faisait un digne pendant à la grande charcuterie des QuenuGradelle.
Les glaces claires laissaient voir la salle, ornée de guirlandes de
feuillages, de pampres et de grappes, sur un fond vert tendre. Le dallage était
blanc et noir, à grands carreaux. Au fond, le trou béant de la cave s’ouvrait
sous l’escalier tournant, à draperie rouge, qui menait au billard du premier
étage. Mais le comptoir surtout, à droite, était très riche, avec son large reflet
d’argent poli. Le zinc retombant sur le soubassement de marbre blanc et
rouge, en une haute bordure gondolée, l’entourait d’une moire, d’une nappe de
métal, comme un maître-autel chargé de ses broderies. À l’un des bouts,
les théières de porcelaine pour le vin chaud et le punch, cerclées de cuivre,
dormaient sur le fourneau à gaz ; à l’autre bout, une fontaine de marbre, très
élevée, très sculptée, laissait tomber perpétuellement dans une cuvette un fil
d’eau si continu, qu’il semblait immobile ; et, au milieu, au centre des trois
pentes du zinc, creusait un bassin à rafraîchir et à rincer, où des litres entamés
alignaient leurs cols verdâtres. Puis, l’armée des verres, rangée par bandes,
occupait les deux côtés : les petits verres pour l’eau-de-vie, les gobelets épais
pour les canons, les coupes pour les fruits, les verres à absinthe, les choppes,
les grands verres à pied, tous renversés, le cul en l’air, reflétant dans leur
pâleur les luisants du comptoir. Il y avait encore, à gauche, une urne de
melchior montée sur un pied qui servait de tronc ; tandis que, à droite, une
urne semblable se hérissait d’un éventail de petites cuillers.