【Emile Zola】Le Ventre de Paris III (14)
Alors, toute la charcuterie fut heureuse. La belle Lisa se montrait très
amicale pour son beau-frère ; elle l’envoyait se coucher de bonne heure,
afin qu’il pût se lever matin ; elle lui tenait son déjeuner bien chaud ; elle
n’avait plus honte de causer avec lui sur le trottoir, maintenant qu’il portait
une casquette galonnée. Quenu, ravi de ces bonnes dispositions, ne s’était
jamais si carrément attablé, le soir, entre son frère et sa femme. Le dîner
se prolongeait souvent jusqu’à neuf heures, pendant qu’Augustine restait au
comptoir. C’était une longue digestion, coupée des histoires du quartier, des
jugements positifs portés par la charcutière sur la politique. Florent devait
dire comment avait marché la vente de la marée. Il s’abandonnait peu à peu,
arrivait à goûter la béatitude de cette vie réglée. La salle à manger jaune
clair avait une netteté et une tiédeur bourgeoises qui l’amollissaient dès le
seuil. Les bons soins de la belle Lisa mettaient autour de lui un duvet chaud,
où tous ses membres enfonçaient. Ce fut une heure d’estime et de bonne
entente absolues.
Mais Gavard jugeait l’intérieur des Quenu-Gradelle trop endormi. Il
pardonnait à Lisa ses tendresses pour l’empereur, parce que, disait-il, il ne
faut jamais causer politique avec les femmes, et que la belle charcutière était,
après tout, une femme très honnête qui faisait aller joliment son commerce.
Seulement, par goût, il préférait passer ses soirées chez monsieur Lebigre,
où il retrouvait tout un petit groupe d’amis qui avaient ses opinions. Quand
Florent fut nommé inspecteur de la marée, il le débaucha, il l’emmena
pendant des heures, le poussant à vivre en garçon, maintenant qu’il avait
une place.