Elle avait des pratiques, ses petits tas étaient très connus. La mère
Chantemesse, assise entre les deux enfants, riait d’un rire intérieur, qui lui
faisait monter la gorge au menton, à les voir si sérieux à la besogne. Elle
leur donnait religieusement leur sou par jour. Mais les petits tas finirent par
les ennuyer. Ils prenaient de l’âge, ils rêvaient des commerces plus lucratifs.
Marjolin restait enfant très tard, ce qui impatientait Cadine. Il n’avait pas
plus d’idée qu’un chou, disait-elle. Et, à la vérité, elle avait beau inventer
pour lui des moyens de gagner de l’argent, il n’en gagnait point, il ne savait
pas même faire une commission. Elle, était très rouée. À huit ans, elle se
fit enrôler par une de ces marchandes qui s’assoient sur un banc, autour des
Halles avec un panier de citrons, que toute une bande de gamine vendent
sous leurs ordres ; elle offrait les citrons dans sa main, deux pour trois sous,
courant après les passants, poussant sa marchandise sous le nez des femmes,
retournant s’approvisionner, quand elle avait la main vide ; elle touchait
deux sous par douzaine de citrons, ce qui mettait ses journées jusqu’à cinq
et six sous, dans les bons temps. L’année suivante, elle plaça des bonnets à
neuf sous ; le gain était plus fort ; seulement, il fallait avoir l’œil vif, car ces
commerces en plein vent sont défendus ; elle flairait les sergents de ville à
cent pas, les bonnets disparaissaient sous ses jupes, tandis qu’elle croquait
une pomme, d’un air innocent. Puis, elle tint des gâteaux, des galettes,
des tartes aux cerises, des croquets, des biscuits de maïs, épais et jaunes,
sur des claies d’osier ; mais Marjolin lui mangea son fonds. Enfin, à onze
ans, elle réalisa une grande idée qui la tourmentait depuis longtemps. Elle
économisa quatre francs en deux mois, fit l’emplette d’une petite hotte, et
se mit marchande de mouron.