【Emile Zola】Le Ventre de Paris III (76)
À la vérité, il se passait des choses très graves dans le cabinet. Un soir,
Logre, après avoir tempêté avec plus de violence que de coutume, donna des
coups de poing sur la table, en déclarant que si l’on était des hommes, on
flanquerait le gouvernement par terre. Et il ajouta qu’il fallait s’entendre tout
de suite, si l’on voulait être prêt, quand la débâcle arriverait. Puis, les têtes
rapprochées, à voix plus basse, on convint de former un petit groupe prêt à
toutes les éventualités. Gavard, à partir de ce jour, fut persuadé qu’il faisait
partie d’une société secrète et qu’il conspirait. Le cercle ne s’étendit pas,
mais Logre promit de l’aboucher avec d’autres réunios qu’il connaissait.
À un moment, quand on tiendrait tout Paris dans la main, on ferait danser
les Tuileries. Alors, ce furent des discussions sans fin qui durèrent plusieurs
mois : questions d’organisation, questions de but et de moyens, questions
de stratégie et de gouvernement futur. Dès que Rose avait apporté le grog
de Clémence, les chopes de Charvet et de Robine, les mazagrans de Logre,
de Gavard et de Florent, et les petits verres de Lacaille et d’Alexandre, le
cabinet était soigneusement barricadé, la séance était ouverte.
Charvet et Florent restaient naturellement les voix les plus écoutées.
Gavard n’avait pu tenir sa langue, contant peu à peu toute l’histoire de
Cayenne, ce qui mettait Florent dans une gloire de martyr. Ses paroles
devenaient des actes de foi. Un soir, le marchand de volailles, vexé
d’entendre attaquer son ami qui était absent, s’écria :
– Ne touchez pas à Florent, il est allé à Cayenne !