【Emile Zola】Le Ventre de Paris IV (106)
Le lit fut longtemps ainsi pour eux un lieu de récréation ; ils y emportaient leurs
joujoux, ils y mangeaient des carottes et des navets volés ; chaque matin,
leur mère adoptive était toute surprise d’y trouver des objets étranges, des
cailloux, des feuilles, des trognons de pommes, des poupées faites avec des
bouts de chiffon. Et, les jours de grands froids, elle les laissait là, endormis,
la tignasse noire de Cadine mêlée aux boucles blondes de Marjolin, les
bouches si près l’une de l’autre, qu’ils semblaient se réchauffer de leur
haleine.
Cette chambre de la rue au Lard était un grand galetas, délabré, qu’une
seule fenêtre, aux vitres dépolies par les pluies, éclairait. Les enfants y
jouaient à cache-cache, dans la haute armoire de noyer et sous le lit colossal
de la mère Chantemesse. Il y avait encore deux ou trois tables, sous
lesquelles ils marchaient à quatre pattes. C’était charmant, parce qu’il n’y
faisait pas clair, et que des légumes traînaient dans les coins noirs. La rue
au Lard, elle aussi, était bien amusante, étroite, peu fréquentée, avec sa
large arcade qui s’ouvre sur la rue de la Lingerie. La porte de la maison se
trouvait à côté même de l’arcade, une porte basse, dont le battant ne s’ouvrait
qu’à demi sur les marches grasses d’un escalier tournant. Cette maison, à
auvent, qui se renflait, toute sombre d’humidité, avec la caisse verdie des
plombs, à chaque étage, devenait, elle aussi, un grand joujou. Cadine et
Marjolin passaient leurs matinées à jeter d’en bas des pierres, de façon à les
lancer dans les plombs ; les pierres descendaient alors le long des tuyaux de
descente, en faisant un tapage très réjouissant. Mais ils cassèrent deux vitres,
et ils emplirent les tuyaux de cailloux, à tel point que la mère Chantemesse,
qui habitait la maison depuis quarante-trois ans, faillit recevoir congé.