L'année 1851 n'ayant pas d'Exposition, il eut tout le loisir de travailler à trois toiles. Il les remania, les caressa, les retoucha, les retournant pour les laisser dormir, y revenant avec des yeux plus froids et détachés de la griserie du ton tout frais, y mettant à tous les coins cette conscience de l'artiste qui veut se satisfaire lui-même.
Le premier de ces trois tableaux, peints d'après ses souvenirs et ses croquis, était le campement de Bohémiens dont il avait envoyé à Anatole l'ébauche écrite. Une lumière pareille à la horde qu'elle éclairait, errante et folle, des rayons perdus, l'éparpillement du soleil dans les bois, des zigzags de ruisseau, des oripeaux de sorcière et de fée, un mélange de basse-cour, de dortoir et de forge, des berceaux multicolores, comme de petits lits d'Arlequin accrochés aux arbres, un troupeau d'enfants, de vieilles, de jeunes filles, le camp de misère et d'aventure, sous son dôme de feuilles, avec son tapage et son fouillis, revivait dans la peinture claire, cristallisée, pétillante de Coriolis, pleine de retroussis de pinceau, d'accentuations qui, dans les masses, relevaient un détail, jetaient de l'esprit sur une figure, sur une silhouette.
Sa seconde toile faisait voir une vue d'Adramiti. D'une touche fraîche et légère, avec des tons de fleurs, la palette d'un vrai bouquet, Coriolis avait jeté sur la toile le riant éblouissement de ce morceau de ciel tout bleu, de ces baroques maisons blanches, de ces galeries vertes, rouges, de ces costumes éclatants, de ces flaques d'eau où semble croupir de l'azur noyé. Il y avait là un rayonnement d'un bout à l'autre, sans ombre, sans noir, un décor de chaleur, de soleil, de vapeur, l'Orient fin, tendre, brillant, mouillé de poussière d'eau de pierres précieuses, l'Orient de l'Asie Mineure, comme l'avait vu et comme l'aimait Coriolis.
Le troisième de ses tableaux représentait une caravane sur la route de Troie. C'était l'heure frémissante et douce où le soleil va se lever; les premiers feux, blancs et roses, répandant le matin dans le ciel, semblaient jeter les changeantes couleurs tendres de la nacre sur le lever du jour vers lequel, le cou tendu, les chameaux respiraient.
La veille de son envoi, Coriolis donnait encore ce dernier coup de pinceau que les peintres donnent à leurs tableaux dans leur cadre de l'Exposition.