Quelquefois, en travaillant, il hasardait un regard dans la cour; et il n'était pas trop rassuré en voyant toutes les têtes des locataires et l'horreur de tous les étages tournées vers sa mansarde.
Un jour, s'étant mis un peu de sang aux doigts en changeant de place son modèle, il voulut se laver dans une grande terrine, dont il n'avait pas vu dans l'ombre la teinte sanguinolente. Comme il retirait ses mains, lui vint aux doigts quelque chose comme une peau qui ne finissait pas.
—Ah! celle-là, c'est d'une jeune fille…—dit négligemment M. Bernardin, en train de préparer de l'ouvrage pour le lendemain.—Oui, c'est le moment… après le carnaval… le passage des femmes dans les hôpitaux…
Il prit un tel frisson à Anatole, qu'il ne revint plus. Cela étonna M. Bernardin qui le payait bien.
A quelques semaines de là, il n'était bruit à Paris que d'un meurtre mystérieux, d'une femme coupée en morceaux, dont on avait trouvé la tête dans la fontaine du quai aux Fleurs. On frappa chez Anatole: c'était M. Bernardin. Il avait été chargé d'embaumer cette femme, que la police voulait faire exposer et reconnaître. Mais comme elle avait séjourné sous l'eau et qu'elle avait des taches, M. Bernardin, qui voulait faire un chef-d'œuvre, frapper un coup de maître, avait pensé à faire raccorder la malheureuse; il venait demander à Anatole de passer des glacis dessus.
—Mon cher, c'est mon avenir,—dit-il à Anatole. Et il lui offrit un gros prix.
Anatole, que la Morgue avait toujours attiré, et qui était naturellement curieux des grands crimes, se laissa décider. Et une demi-heure après, derrière le rideau tiré de la salle, il travaillait à couvrir, en couleur chair, les taches de la morte, à laquelle le coiffeur de la rue de la Barillerie, plus blanc qu'un linge, faisait la raie, tandis que M. Bernardin, retirant l'un après l'autre de la tête ses yeux en émail, essuyait dessus, soigneusement, la buée avec son foulard!