【法国文学】卡门Carmen --Prosper Mérimée I (4)
J’observais cependant mon guide et l’inconnu. Le premier s’approchait
bien à contre-cœur ; l’autre semblait n’avoir pas de mauvais desseins contre
nous, car il avait rendu la liberté à son cheval, et son espingole, qu’il tenait
d’abord horizontale, était maintenant dirigée vers la terre.
Ne croyant pas devoir me formaliser du peu de cas qu’on avait paru faire
de ma personne, je m’étendis sur l’herbe, et d’un air dégagé, je demandai
à l’homme à l’espingole s’il n’avait pas un briquet sur lui. En même temps
je tirai mon étui à cigares. L’inconnu, toujours sans parler, fouilla dans sa
poche, prit son briquet, et s’empressa de me faire du feu. Évidemment il
s’humanisait, car il s’assit en face de moi, toutefois sans quitter son arme.
Mon cigare allumé, je choisis le meilleur de ceux qui me restaient, et je lui
demandai s’il fumait.
– Oui, Monsieur, répondit-il. C’étaient les premiers mots qu’il faisait
entendre, et je remarquai qu’il ne prononçait pas l’s à la manière andalouse,
d’où je conclus que c’était un voyageur comme moi, moins archéologue
seulement.
– Vous trouverez celui-ci assez bon, lui dis-je en lui présentant un
véritable régalia de la Havane.
Il me fit une légère inclination de tête, alluma son cigare au mien, me
remercia d’un autre signe de tête, puis se mit à fumer avec l’apparence d’un
très vif plaisir. – Ah ! s’écria-t-il en laissant échapper lentement sa première
bouffée par la bouche et les narines, comme il y avait longtemps que je
n’avais fumé !