【法国文学】卡门Carmen --Prosper Mérimée I (5)
En Espagne, un cigare donné et reçu établit des relations d’hospitalité,
comme en Orient le partage du pain et du sel. Mon homme se montra plus
causant que je ne l’avais espéré. D’ailleurs, bien qu’il se dît habitant du
partido de Montilla, il paraissait connaître le pays assez mal. Il ne savait pas
le nom de la charmante vallée où nous nous trouvions ; il ne pouvait nommer
aucun village des alentours ; enfin, interrogé par moi s’il n’avait pas vu aux
environs des murs détruits, de larges tuiles à rebords, des pierres sculptées,
il confessa qu’il n’avait jamais fait attention à pareilles choses. En revanche,
il se montra expert en matière de chevaux. Il critiqua le mien, ce qui n’était
pas difficile ; puis il me fit la généalogie du sien, qui sortait du fameux haras
de Cordoue : noble animal, en effet, si dur à la fatigue, à ce que prétendait
son maître, qu’il avait fait une fois trente lieues dans un jour, au galop ou au
grand trot. Au milieu de sa tirade, l’inconnu s’arrêta brusquement, comme
surpris et fâché d’en avoir trop dit. – C’est que j’étais très pressé d’aller à
Cordoue, reprit-il avec quelque embarras. J’avais à solliciter les juges pour
un procès... En parlant, il regardait mon guide Antonio, qui baissait les yeux.