【法国文学】卡门Carmen --Prosper Mérimée I (12)
Je me croyais assez fatigué pour pouvoir dormir dans un pareil gîte ; mais,
au bout d’une heure, de très désagréables démangeaisons m’arrachèrent
à mon premier somme. Dès que j’en eus compris la nature, je me levai,
persuadé qu’il valait mieux passer le reste de la nuit à la belle étoile que
sous ce toit inhospitalier. Marchant sur la pointe du pied, je gagnai la porte,
enjambant par-dessus la couche de don José, qui dormait du sommeil du
juste, et je fis si bien que je sortis de la maison sans qu’il s’éveillât. Auprès
de la porte était un large banc de bois ; je m’étendis dessus, et m’arrangeai
de mon mieux pour achever ma nuit. J’allais fermer les yeux pour la seconde
fois, quand il me sembla voir passer devant moi l’ombre d’un homme et
l’ombre d’un cheval, marchant l’un et l’autre sans faire le moindre bruit. Je
me mis sur mon séant, et je crus reconnaître Antonio. Surpris de le voir hors
de l’écurie à pareille heure, je me levai et marchai à sa rencontre. Il s’était
arrêté, m’ayant aperçu d’abord.
– Où est-il ? me demanda Antonio à voix basse.
– Dans la venta ; il dort ; c’est qu’il n’a pas peur des punaises. Pourquoi
donc emmenez-vous ce cheval ?
Je remarquai alors que, pour ne pas faire de bruit en sortant du hangar,
Antonio avait soigneusement enveloppé les pieds de l’animal avec les débris
d’une vieille couverture.
– Parlez plus bas, me dit Antonio, au nom de Dieu ! Vous ne savez
pas qui est cet homme-là. C’est José Navarro, le plus insigne bandit de
l’Andalousie. Toute la journée je vous ai fait des signes que vous n’avez pas
voulu comprendre.