【法国文学】卡门Carmen --Prosper Mérimée I (13)
– Bandit ou non, que m’importe ? répondis-je ; il ne nous a pas volés, et
je parierais qu’il n’en a pas envie.
– À la bonne heure ; mais il y a deux cents ducats pour qui le livrera. Je
sais un poste de lanciers à une lieue et demie d’ici, et avant qu’il soit jour,
j’amènerai quelques gaillards solides. J’aurais pris son cheval, mais il est si
méchant que nul que le Navarro ne peut en approcher.
– Que le diable vous emporte ! lui dis-je. Quel mal vous a fait ce pauvre
homme pour le dénoncer ? D’ailleurs, êtes-vous sûr qu’il soit le brigand que
vous dites ?
– Parfaitement sûr ; tout à l’heure il m’a suivi dans l’écurie et m’a dit :
« Tu as l’air de me connaître ; si tu dis à ce bon monsieur qui je suis, je te
fais sauter la cervelle. » Restez, Monsieur, restez auprès de lui ; vous n’avez
rien à craindre. Tant qu’il vous saura là, il ne se méfiera de rien.
Tout en parlant, nous nous étions déjà assez éloignés de la venta pour
qu’on ne pût entendre les fers du cheval. Antonio l’avait débarrassé en un
clin d’œil des guenilles dont il lui avait enveloppé les pieds ; il se préparait
à enfourcher sa monture. J’essayai prières et menaces pour le retenir.
– Je suis un pauvre diable, Monsieur, me disait-il ; deux cents ducats
ne sont pas à perdre, surtout quand il s’agit de délivrer le pays de pareille
vermine. Mais prenez garde : si le Navarro se réveille, il sautera sur son
espingole, et gare à vous ! Moi, je suis trop avancé pour reculer ; arrangez-
vous comme vous pourrez.
Le drôle était en selle ; il piqua des deux, et dans l’obscurité je l’eus
bientôt perdu de vue.