【法国文学】卡门Carmen --Prosper Mérimée III (23)
Après quelques heures de repos, elle s’en fut à Gaucin, et le lendemain
matin un petit chevrier vint nous porter du pain. Nous demeurâmes là tout
le jour, et la nuit nous nous rapprochâmes de Gaucin. Nous attendions des
nouvelles de Carmen. Rien ne venait. Au jour, nous voyons un muletier
qui menait une femme bien habillée, avec un parasol, et une petite fille
qui paraissait sa domestique. Garcia nous dit : – Voilà deux mules et deux
femmes que Saint-Nicolas nous envoie ; j’aimerais mieux quatre mules ;
n’importe, j’en fais mon affaire ! – Il prit son espingole, et descendit vers le
sentier en se cachant dans les broussailles. Nous le suivions, le Dancaïre et
moi, à peu de distance. Quand nous fûmes à portée, nous nous montrâmes, et
nous criâmes au muletier de s’arrêter. La femme, en nous voyant, au lieu de
s’effrayer, et notre toilette aurait suffi pour cela, fait un grand éclat de rire. –
Ah ! les lillipendi qui me prennent pour une erañi ! – C’était Carmen, mais
si bien déguisée que je ne l’aurais pas reconnue parlant une autre langue.
Elle sauta à bas de sa mule, et causa quelque temps à voix basse avec le
Dancaïre et Garcia, puis elle me dit : – Canari, nous nous reverrons avant que
tu sois pendu. Je vais à Gibraltar pour les affaires d’Égypte. Vous entendrez
bientôt parler de moi. – Nous nous séparâmes après qu’elle nous eut indiqué
un lieu où nous pourrions trouver un abri pour quelques jours. Cette fille
était la providence de notre troupe. Nous reçûmes bientôt quelque argent
qu’elle nous envoya, et un avis qui valait mieux pour nous : c’était que
tel jour partiraient deux milords anglais, allant de Gibraltar à Grenade par
tel chemin. À bon entendeur, salut. Ils avaient de belles et bonnes guinées.
Garcia voulait les tuer, mais le Dancaïre et moi nous nous y opposâmes.