【法国文学】卡门Carmen --Prosper Mérimée III (24)
Nous ne leur prîmes que l’argent et les montres, outre les chemises dont
nous avions grand besoin.
Monsieur, on devient coquin sans y penser. Une jolie fille vous fait perdre
la tête, on se bat pour elle, un malheur arrive, il faut vivre à la montagne, et
de contrebandier on devient voleur avant d’avoir réfléchi. Nous jugeâmes
qu’il ne faisait pas bon pour nous dans les environs de Gibraltar après
l’affaire des milords, et nous nous enfonçâmes dans la sierra de Ronda. –
Vous m’avez parlé de José-Maria ; tenez, c’est là que j’ai fait connaissance
avec lui. Il menait sa maîtresse dans ses expéditions. C’était une jolie fille,
sage, modeste, de bonnes manières ; jamais un mot malhonnête, et un
dévouement !... En revanche, il la rendait bien malheureuse. Il était toujours
à courir après toutes les filles, il la malmenait, puis quelquefois il s’avisait de
faire le jaloux. Une fois, il lui donna un coup de couteau. Eh bien ! elle ne l’en
aimait que davantage. Les femmes sont ainsi faites, les Andalouses surtout.
Celle-là était fière de la cicatrice qu’elle avait au bras, et la montrait comme
la plus belle chose du monde. Et puis José-Maria, par-dessus le marché,
était le plus mauvais camarade !... Dans une expédition que nous fîmes,
il s’arrangea si bien que tout le profit lui en demeura, à nous les coups et
l’embarras de l’affaire. Mais je reprends mon histoire. Nous n’entendîmes
plus parler de Carmen. Le Dancaïre dit : – Il faut qu’un de nous aille à
Gibraltar pour en avoir des nouvelles ; elle doit avoir préparé quelque affaire.