Je pris donc le parti de longer un peu la rive où j’étais et qui me paraissait
fort bonne. Elle allait en se rétrécissant jusqu’à un petit ruisseau qui s’y
déversait : j’y mis mon canot, ne pouvant pas souhaiter un meilleur havre
pour ma frégate.
En examinant les lieux, je vis que je n’étais pas éloigné de l’endroit
où j’étais arrivé après avoir traversé mon île. Aussi, laissant toutes mes
provisions dans mon canot et prenant le fusil et le parasol, je me mis en
chemin. J’arrivai sur le soir à ma maison de campagne, j’en sautai la haie
et me couchai à l’ombre. Je m’endormis bien vite et ne fus pas peu surpris
d’entendre dans mon sommeil une voix qui m’appelait par mon nom :
« Robinson, Robinson, Robinson Crusoé, pauvre Robinson Crusoé, où avezvous été,
Robinson Crusoé ? Où êtes-vous Robinson ? Robinson Crusoé, où
avez-vous été ? »
Comme j’avais ramé tout le matin et marché toute l’après-midi, j’étais
encore à moitié endormi et croyais rêver. Mais la voix continuait de répéter :
« Robinson Crusoé, Robinson Crusoé ! » Je m’éveillai enfin tout à fait
et complètement épouvanté. Cependant, je me rassurai en voyant mon
perroquet perché sur la haie. « Mais comment, me disais-je, est-il venu ici ?
Pourquoi est-il venu en cet endroit plutôt qu’en tout autre ? » Je ne pus me
répondre, mais je l’appelai par son nom et il vint se poser sur mon pouce, me
répétant, comme s’il eût été ravi de me revoir « Pauvre Robinson Crusoé,
ou avez-vous été ? » Je l’emportai ensuite au logis.
Pendant près d’un an je vécus retiré dans ces lieux où la destinée me
tenait prisonnier, mais, sauf la société, il ne me manquait rien pour être
parfaitement heureux.
Aventures de Robinson Crusoé
Daniel Defoe