Les chèvres venaient manger mon grain, s’enfonçaient même dans le
trébuchet, mais ensuite, elles trouvaient moyen d’en sortir.
Je m’avisai enfin de tendre une nuit trois trappes ; j’allai les visiter le
lendemain matin et je trouvai qu’elles étaient encore tendues, mais que les
appâts en avaient été arrachés. Cependant, je ne me décourageai point, et, un
beau jour, je trouvai dans l’une un vieux bouc d’une grandeur extraordinaire
et dans l’autre deux chevrettes et un chevreau. Le vieux bouc était si farouche
que, ne sachant qu’en faire, je lui rendis la liberté. Pour les jeunes, je les tirai
de leur fosse un à un et, les attachant tous trois à un même cordon, je les
amenai chez moi, non sans difficulté.
Il se passa quelque temps avant qu’ils voulussent manger, mais à la fin
ils se laissèrent tenter par le bon grain que je leur présentai. Et, peu à peu,
j’eus le plaisir de les voir s’apprivoiser.
Puis, il me vint à l’idée de les enfermer dans un certain espace de terrain
que j’entourerais d’une haie très épaisse afin qu’il leur fût impossible de se
sauver. Le projet était grand, mais son exécution me semblait absolument
nécessaire. Je cherchai donc une pièce de terre propre au pâturage où il y
eût de l’eau pour les abreuver et de l’ombre pour les garantir des chaleurs
extraordinaires du soleil. Pendant que je préparais leur enclos, je faisais
paître mes chevreaux auprès de moi, avec des entraves aux jambes. Je leur
donnais souvent des épis d’orge et quelques poignées de riz, si bien que
lorsque je les débarrassai de leurs liens pour les mettre dans leur domaine
ils me suivirent partout, sautant et bêlant.
Aventures de Robinson Crusoé
Daniel Defoe