En l’espace d’un an et demi j’eus un troupeau de douze animaux, tant
boucs que chèvres et chevreaux ; deux ans après j’en eus quarante-trois
quoique j’en eusse tué plusieurs pour mon usage.
Ce ne fut qu’assez tard que je songeai à profiter du lait de mes chèvres,
mais lorsque la pensée m’en vint je fis aussitôt une laiterie. Mes chèvres
me donnaient quelquefois huit ou dix pintes de lait par jour. Je n’avais
jamais vu faire le beurre ni le fromage, mais après plusieurs essais j’en vins
parfaitement à bout.
Ma table se garnissait ainsi de mets toujours plus abondants et plus variés
et je dînais comme un Roi à la vue de toute ma cour. Mon perroquet, comme
s’il eût été mon favori, avait seul la permission de parler. Mon chien, qui
était devenu vieux et chagrin, était toujours assis à ma droite. Mes deux
chats étaient l’un à un bout de la table, l’autre à l’autre bout, attendant de
ma faveur quelque morceau de viande.
Ces deux chats n’étaient pas ceux que nous avions sur le vaisseau et que
j’avais emmenés dans mon île. Ceux-là étaient depuis longtemps morts et
enterrés, mais l’un ayant eu des petits, j’en élevai deux, tandis que les autres
s’enfuirent dans les bois où ils devinrent sauvages.
J’aimerais dire maintenant en quel équipage j’apparaissais lorsque j’allais
en promenade dans mon royaume. Je portais un chapeau d’une hauteur
effroyable et sans forme, fait de peaux de chèvres. J’y avais attaché par
derrière la moitié d’une peau de bouc qui me couvrait tout le cou. C’était à
la fois pour me préserver des ardeurs du soleil et pour empêcher la pluie de
pénétrer sous mes habits car, dans ces climats, rien n’est plus dangereux.
Aventures de Robinson Crusoé
Daniel Defoe