XIV
Robinson, effrayé par
des traces humaines,
fortifie sa demeure
Un jour, comme j’allais à mon canot, je découvris très distinctement sur le
sable les marques d’un pied nu, d’un pied humain. Jamais je n’éprouvai plus
grande frayeur. Je m’arrêtai tout court, comme frappé de la foudre. Je me
mis aux écoutes, je regardai tout autour de moi, mais je ne vis ni n’entendis
rien. Je montai sur une petite éminence pour étendre ma vue ; j’en descendis
et j’allai au rivage, mais je n’aperçus rien de nouveau. J’y retournai, pensant
que je n’avais vu les traces qu’en imagination, mais je retrouvai les mêmes
marques d’un pied nu, les orteils, les talons et tous les autres indices d’un
pied d’homme.
Je ne savais que conclure. Il me vint des pensées effrayantes. Je m’enfuis
à ma fortification tout troublé, regardant derrière moi presque à chaque pas,
et prenant tous les buissons que je rencontrais pour des hommes.
Je ne fus pas sitôt arrivé près de ma demeure que je m’y jetai comme un
homme qu’on poursuit.
Je ne pus dormir de toute la nuit et mes craintes ne firent qu’augmenter.
Je restai enfermé pendant trois jours et trois nuits et je commençais à languir
de faim n’ayant chez moi que quelques biscuits et de l’eau. D’autre part,
je pensai que mes chèvres avaient grand besoin d’être traites ; je m’en fus
donc à ma maison de campagne, mais tout en cheminant je réfléchissais.
Voilà quinze années que j’étais dans l’île et jusqu’ici je n’avais pas aperçu
seulement l’ombre d’une créature humaine. Je crus pouvoir conclure que
si les gens du continent venaient de temps en temps y prendre terre, ils se
rembarquaient dès qu’ils le pouvaient puisque, jusqu’ici, ils n’avaient pas
jugé bon de s’y établir. Je vis parfaitement bien que tout ce que j’avais à
craindre était des descentes accidentelles contre lesquelles il était prudent
de chercher une retraite sûre.
Aventures de Robinson Crusoé
Daniel Defoe