Tout ceci nous fit oublier de poursuivre nos ennemis qui étaient déjà hors
de notre vue. Et ce fut un bonheur pour nous car, deux heures après, il s’éleva
un vent terrible qui dura toute la nuit.
Pour revenir à Vendredi, je le vis un moment après sortir de la barque et
se mettre à courir avec une telle rapidité que je le perdis de vue en un instant.
J’avais beau crier, il n’entendait rien, mais environ un quart d’heure après,
je le vis revenir avec un pot rempli d’eau fraîche et quelques morceaux de
pain qu’il me donna. Pour l’eau, il la porta à son père après que j’en eus bu
un petit coup pour me désaltérer. Elle ranima entièrement le pauvre vieillard
qui mourait de soif.
Quand il eut bu je vis qu’il y avait encore de l’eau de reste ; j’ordonnai
à Vendredi de la porter à l’Espagnol avec l’un des gâteaux qu’il était allé
chercher. Le malheureux, extrêmement faible, s’était couché sur l’herbe à
l’ombre d’un arbre. Il se releva pourtant pour manger et boire, mais essaya en
vain de se mettre sur ses jambes. Ses pieds, enflés pour avoir été trop serrés,
lui causaient trop de douleur. Je priai Vendredi de les lui frotter comme il
avait fait pour son père. Vendredi le fit volontiers, après quoi il chargea le
pauvre homme sur ses épaules, le porta jusqu’à la barque où il le fit asseoir
tout auprès de son père. Puis, sortant de la barque, il la gouverna du rivage.
Il la conduisit ainsi jusqu’à la baie, mais ni son père, ni l’Espagnol
n’eurent la force d’en sortir.
Aventures de Robinson Crusoé
Daniel Defoe