Je lui demandai ensuite comment ils accueilleraient de ma part une
proposition de délivrance et si je pouvais les faire venir tous dans mon île. Il
pensa que les pauvres gens seraient trop heureux d’accepter et il me proposa
d’aller les voir avec le vieux sauvage pour leur communiquer mon intention.
Et, pour me donner toute confiance en lui, il se déclara prêt à me prêter
serment avant son départ, me jura qu’il ne quitterait jamais mes ordres et
qu’il me défendrait jusqu’à la dernière goutte de son sang si ses compatriotes
étaient assez lâches pour manquer à leurs promesses. Il m’assura d’ailleurs
qu’ils étaient tous de fort honnêtes gens, désespérés à l’idée de ne jamais
revoir leur patrie et que si je voulais mettre un terme à leurs malheurs, ils ne
demanderaient qu’à vivre et à mourir avec moi.
Je permis donc à mon Espagnol de passer en terre ferme pour voir s’il y
avait quelque chose à faire avec ses compagnons. Je lui donnai seulement
l’ordre de ne pas amener un seul homme avec lui sans lui avoir fait jurer que
bien loin d’attaquer le Maître de l’île il ne négligerait rien pour le défendre
et qu’il se soumettrait entièrement à ses commandements.
Muni de ces instructions, il partit avec le sauvage dans le même canot
qui les avait amenés. Je leur donnai à chacun un mousquet, huit charges
de poudre et de balles en leur recommandant d’en être bons ménagers et
de ne les employer que dans les occasions pressantes. Je mis dans le canot
une provision de pain et de grappes sèches pour plusieurs jours et une autre
provision pour huit jours, destinée aux Espagnols. Je convins encore avec
eux d’un signal qu’ils mettraient à leur canot au retour pour me permettre
de les reconnaître de loin et je leur souhaitai un heureux voyage.
Aventures de Robinson Crusoé
Daniel Defoe