XX
Des Anglais débarquent
dans l’île et Robinson
quitte son royaume
J’avais déjà attendu pendant huit jours le retour de mes députés quand il
m’arriva une aventure incroyable.
J’étais encore profondément endormi lorsque Vendredi approcha de mon
lit avec précipitation en criant : « Maître, Maître, ils sont venus, ils sont
venus ! »
Je me levai et m’habillai en hâte, traversai mon bocage qui était devenu
un bois épais, songeant si peu au danger que j’étais sans armes. Mais je fus
bien surpris en tournant mes yeux vers la mer de voir à une lieue et demie
de distance une chaloupe avec une voile venant du côté sud de l’île et se
dirigeant vers mon rivage où elle était poussée par un vent favorable. Je priai
Vendredi de ne pas se donner le moindre mouvement puisque ce n’était pas
là les gens que nous attendions et que nous ne pouvions pas savoir encore
s’ils étaient amis ou ennemis.
Pour mieux observer, je fus chercher ma lunette d’approche et, au moyen
de mon échelle, je montai au haut du rocher comme je faisais d’ordinaire
quand je voulais découvrir quelque chose sans être découvert moi-même.
À peine avais-je mis le pied sur le haut de la colline que je vis clairement
un vaisseau à l’ancre, à peu près à deux lieues et demie au sud-ouest, et je
crus deviner à la structure du bâtiment que le vaisseau était anglais aussi
bien que la chaloupe.
Je ne saurais exprimer tous les sentiments que j’éprouvai. Ma joie de
voir un navire dont l’équipage devait sans doute être de ma nation était une
joie extrême, mais j’avais cependant quelque crainte. Je n’imaginais pas
quelles affaires un vaisseau anglais pouvait avoir dans cette partie du monde
puisque ce n’était la route d’aucun des pays vers lesquels mes compatriotes
se dirigent d’ordinaire.
Aventures de Robinson Crusoé
Daniel Defoe