– Mais, lui dis-je, que sont devenus vos coquins de rebelles ?
– Les voilà couchés, répondit-il, en montrant du doigt une touffe d’arbres
fort épaisse.
– Eh bien ! dis-je, commençons par nous tirer d’ici, de peur qu’ils ne
nous aperçoivent en s’éveillant. Suivez-moi vers un lieu où nous pourrons
délibérer à notre aise sur nos affaires. »
Après que nous nous fûmes mis à couvert dans le bois, je lui parlai ainsi :
« Monsieur, je veux bien tout risquer pour votre délivrance pourvu que
vous m’accordiez deux conditions. Premièrement, pendant que vous serez
dans cette île avec moi, vous renoncerez à toute sorte d’autorité et vous
serez entièrement soumis à mes ordres. Deuxièmement, si nous réussissons
à reprendre le vaisseau, vous me mènerez en Angleterre avec mon esclave
sans rien demander pour le passage. »
Il me le promit avec les expressions les plus fortes et les plus
reconnaissantes. Nous nous entendîmes alors sur la façon la plus habile de
nous saisir des rebelles et de leur chaloupe et notre plan fut si heureusement
dressé qu’il réussit avec la plus grande facilité.
Nous songeâmes ensuite au moyen de prendre le vaisseau qui contenait
encore vingt-six hommes.
Avec l’aide de Vendredi, du contremaître, du passager et des matelots
dont nous nous étions saisis et qui s’étaient rendus, le capitaine conduisit
cette entreprise dans la perfection. Une fois maître du bâtiment, il m’annonça
le succès en faisant tirer sept coups de canon, ce qui était le signal convenu.
Dès que je fus certain de cette heureuse nouvelle, je me mis sur mon lit
et m’endormis profondément. Je fus réveillé par un nouveau coup de canon,
et m’étant levé pour en connaître la cause, je m’entendis appeler par mon
nom de Gouverneur. Je reconnus d’abord la voix du capitaine et, dès que je
fus monté au haut du rocher où il m’attendait, il me serra dans ses bras de la
manière la plus tendre. Puis, tendant la main vers le vaisseau : « Mon cher
ami, me dit-il, mon cher Libérateur, voilà votre vaisseau, il vous appartient
aussi bien que nous et tout ce que nous possédons. »
Aventures de Robinson Crusoé
Daniel Defoe