CHAPITRE VI Porc et poivre (1)
Alice resta une ou deux minutes à regarder à la porte ; elle se demandait
ce qu’il fallait faire, quand tout à coup un laquais en livrée sortit du bois
en courant. (Elle le prit pour un laquais à cause de sa livrée ; sans cela, à
n’en juger que par la figure, elle l’aurait pris pour un poisson.) Il frappa
fortement avec son doigt à la porte. Elle fut ouverte par un autre laquais en
livrée qui avait la face toute ronde et de gros yeux comme une grenouille.
Alice remarqua que les deux laquais avaient les cheveux poudrés et tout
frisés. Elle se sentit piquée de curiosité, et, voulant savoir ce que tout cela
signifiait, elle se glissa un peu en dehors du bois afin d’écouter.
Le Laquais-Poisson prit de dessous son bras une lettre énorme, presque
aussi grande que lui, et la présenta au Laquais-Grenouille en disant d’un ton
solennel : « Pour Madame la Duchesse, une invitation de la Reine à une
partie de croquet. » Le Laquais-Grenouille répéta sur le même ton solennel,
en changeant un peu l’ordre des mots : « De la part de la Reine une invitation
pour Madame la Duchesse à une partie de croquet ; » puis tous deux se firent
un profond salut et les boucles de leurs chevelures s’entremêlèrent.
Cela fit tellement rire Alice qu’elle eut à rentrer bien vite dans le bois de
peur d’être entendue ; et quand elle avança la tête pour regarder de nouveau,
le Laquais-Poisson était parti, et l’autre était assis par terre près de la route,
regardant niaisement en l’air.
Alice s’approcha timidement de la porte et frappa.