CHAPITRE VI Porc et poivre (10)
« À propos, qu’est devenu le bébé ? J’allais oublier de le demander. »
« Il a été changé en porc, » dit tranquillement Alice, comme si le Chat
était revenu d’une manière naturelle.
« Je m’en doutais, » dit le Chat ; et il disparut de nouveau.
Alice attendit quelques instants, espérant presque le revoir, mais il ne
reparut pas ; et une ou deux minutes après, elle continua son chemin dans
la direction où on lui avait dit que demeurait le Lièvre. « J’ai déjà vu des
chapeliers, » se dit-elle ; « le Lièvre sera de beaucoup le plus intéressant. »
À ces mots elle leva les yeux, et voilà que le Chat était encore là assis sur
une branche d’arbre.
« M’avez-vous dit porc, ou porte ? » demanda le Chat.
« J’ai dit porc, » répéta Alice. « Ne vous amusez donc pas à paraître et à
disparaître si subitement, vous faites tourner la tête aux gens. »
« C’est bon, » dit le Chat, et cette fois il s’évanouit tout doucement à
commencer par le bout de la queue, et finissant par sa grimace qui demeura
quelque temps après que le reste fut disparu.
« Certes, » pensa Alice, « j’ai souvent vu un chat sans grimace, mais une
grimace sans chat, je n’ai jamais de ma vie rien vu de si drôle. »
Elle ne fit pas beaucoup de chemin avant d’arriver devant la maison du
Lièvre. Elle pensa que ce devait bien être là la maison, car les cheminées
étaient en forme d’oreilles et le toit était couvert de fourrure. La maison était
si grande qu’elle n’osa s’approcher avant d’avoir grignoté encore un peu du
morceau de champignon qu’elle avait dans la main gauche, et d’avoir atteint
la taille de deux pieds environ ; et même alors elle avança timidement en
se disant : « Si après tout il était fou furieux ! Je voudrais presque avoir été
faire visite au Chapelier plutôt que d’être venue ici. »