CHAPITRE IX Histoire de la Fausse-Tortue(1)
« Vous ne sauriez croire combien je suis heureuse de vous voir, ma bonne
vieille fille ! » dit la Duchesse, passant amicalement son bras sous celui
d’Alice, et elles s’éloignèrent ensemble.
Alice était bien contente de la trouver de si bonne humeur, et pensait
en elle-même que c’était peut-être le poivre qui l’avait rendue si méchante,
lorsqu’elles se rencontrèrent dans la cuisine. « Quand je serai Duchesse,
moi, » se dit-elle (d’un ton qui exprimait peu d’espérance cependant.), « je
n’aurai pas de poivre dans ma cuisine, pas le moindre grain. La soupe peut
très bien s’en passer. Ça pourrait bien être le poivre qui échauffe la bile des
gens, » continua-t-elle, enchantée d’avoir fait cette découverte ; « ça pourrait
bien être le vinaigre qui les aigrit ; la camomille qui les rend amères ; et le
sucre d’orge et d’autres choses du même genre qui adoucissent le caractère
des enfants. Je voudrais bien que tout le monde sût cela ; on ne serait pas si
chiche de sucreries, voyez-vous. »
Elle avait alors complètement oublié la Duchesse, et tressaillit en
entendant sa voix tout près de son oreille. « Vous pensez à quelque chose,
ma chère petite, et cela vous fait oublier de causer. Je ne puis pas vous dire
en ce moment quelle est la morale de ce fait, mais je m’en souviendrai tout
à l’heure. »