CHAPITRE IX Histoire de la Fausse-Tortue(6)
Elles rencontrèrent bientôt un Griffon, étendu au soleil et dormant
profondément. (Si vous ne savez pas ce que c’est qu’un Griffon, regardez
l’image.) « Debout ! paresseux, » dit la Reine, « et menez cette petite
demoiselle voir la Fausse-Tortue, et l’entendre raconter son histoire. Il
faut que je m’en retourne pour veiller à quelques exécutions que j’ai
ordonnées ; » et elle partit laissant Alice seule avec le Griffon. La mine de
cet animal ne plaisait pas trop à Alice, mais, tout bien considéré, elle pensa
qu’elle ne courait pas plus de risques en restant auprès de lui, qu’en suivant
cette Reine farouche.
Le Griffon se leva et se frotta les yeux, puis il guetta la Reine jusqu’à ce
qu’elle fût disparue ; et il se mit à ricaner. « Quelle farce ! » dit le Griffon,
moitié à part soi, moitié à Alice.
« Quelle est la farce ? » demanda Alice.
« Elle ! » dit le Griffon. « C’est une idée qu’elle se fait ; jamais on
n’exécute personne, vous comprenez. Venez donc ! »
« Tout le monde ici dit : "Venez donc !" » pensa Alice, en suivant
lentement le Griffon. « Jamais de ma vie on ne m’a fait aller comme cela ;
non, jamais ! »
Ils ne firent pas beaucoup de chemin avant d’apercevoir dans
l’éloignement la Fausse-Tortue assise, triste et solitaire, sur un petit récif, et,
à mesure qu’ils approchaient, Alice pouvait l’entendre qui soupirait comme
si son cœur allait se briser ; elle la plaignait sincèrement. « Quel est donc
son chagrin ? » demanda-t-elle au Griffon ; et le Griffon répondit, presque
dans les mêmes termes qu’auparavant : « C’est une idée qu’elle se fait ; elle
n’a point de chagrin, vous comprenez. Venez donc ! »