【Emile Zola】Le Ventre de Paris I (3)
– Et où alliez-vous, dans Paris ? demanda-t-elle de nouveau.
Il ne répondit pas tout de suite ; cet interrogatoire le gênait. Il parut se
consulter ; puis, en hésitant :
– Par là, du côté des Halles.
Il s’était mis debout, avec des peines infinies, et il faisait mine de vouloir
continuer son chemin. La maraîchère le vit qui s’appuyait en chancelant sur
le brancard de la voiture.
– Vous êtes las ?
– Oui, bien las, murmura-t-il.
Alors, elle prit une voix brusque et comme mécontente. Elle le poussa,
en disant :
– Allons, vite, montez dans ma voiture ! Vous nous faites perdre un
temps, là !... Je vais aux Halles, je vous déballerai avec mes légumes.
Et, comme il refusait, elle le hissa presque, de ses gros bras, le jeta sur
les carottes et les navets, tout à fait fâchée, criant :
– À la fin, voulez-vous nous ficher la paix ! Vous m’embêtez, mon
brave... Puisque je vous dis que je vais aux Halles ! Dormez, je vous
réveillerai.
Elle remonta, s’adossa contre la planchette, assise de biais, tenant les
guides de Balthazar, qui se remit en marche, se rendormant, dodelinant des
oreilles. Les autres voitures suivirent, la file reprit son allure lente dans
le noir, battant de nouveau du cahot des roues les façades endormies. Les
charretiers recommencèrent leur somme sous leurs limousines. Celui qui
avait interpellé la maraîchère, s’allongea, en grondant :
– Ah ! malheur ! s’il fallait ramasser les ivrognes !... Vous avez de la
constance, vous, la mère !