【Emile Zola】Le Ventre de Paris I (22)
Il dut le suivre. Ils marchaient côte à côte, comme deux camarades,
enjambant les paniers et les légumes. Sur le carreau de la rue Rambuteau,
il y avait des tas gigantesques de choux-fleurs, rangés en piles comme des
boulets, avec une régularité surprenante. Les chairs blanches et tendres des
choux s’épanouissaient, pareilles à d’énormes roses, au milieu des grosses
feuilles vertes, et les tas ressemblaient à des bouquets de mariée, alignés
dans des jardinières colossales. Claude s’était arrêté, en poussant de petits
cris d’admiration.
Puis, en face, rue Pirouette, il montra, expliqua chaque maison. Un seul
bec de gaz brûlait dans un coin. Les maisons, tassées, renflées, avançaient
leurs auvents comme « des ventres de femme grosse, » selon l’expression
du peintre, penchaient leurs pignons en arrière, s’appuyaient aux épaules
les unes des autres. Trois ou quatre, au contraire, au fond de trous d’ombre,
semblaient près de tomber sur le nez. Le bec de gaz en éclairait une, très
blanche, badigeonnée à neuf, avec sa taille de vieille femme cassée et
avachie, toute poudrée à blanc, peinturlurée comme une jeunesse. Puis la file
bossuée des autres s’en allait, s’enfonçant en plein noir, lézardée, verdie par
les écoulements des pluies, dans une débandade de couleurs et d’attitudes
telle, que Claude en riait d’aise. Florent s’était arrêté au coin de la rue de
Mondétour, en face de l’avant-dernière maison, à gauche. Les trois étages
dormaient, avec leurs deux fenêtres sans persiennes, leurs petits rideaux
blancs bien tirés derrière les vitres ; en haut, sur les rideaux de l’étroite
fenêtre du pignon, une lumière allait et venait. Mais la boutique, sous
l’auvent, paraissait lui causer une émotion extraordinaire. Elle s’ouvrait.