【Emile Zola】Le Ventre de Paris I (31)
– Dis, Marcel, cent sous ce panier-là, et quatre francs l’autre, ça fait-il
neuf francs qu’il faut te donner ?
Un nouveau silence se fit :
– Alors qu’est-ce qu’il faut te donner ?
– Eh ! dix francs, tu le sais bien, je te l’ai dit... Et ton Jules, qu’est-ce
que tu en fais, la Sarriette ?
La jeune femme se mit à rire, en tirant une grosse poignée de monnaie.
– Ah bien ! reprit-elle, Jules dort sa grasse matinée... Il prétend que les
hommes, ce n’est pas fait pour travailler.
Elle paya, elle emporta les deux paniers dans le pavillon aux fruits
qu’on venait d’ouvrir. Les Halles gardaient leur légèreté noire, avec les
mille raies de flamme des persiennes ; sous les grandes rues couvertes,
du monde passait, tandis que les pavillons, au loin, restaient déserts, au
milieu du grouillement grandissant de leurs trottoirs. À la pointe Saint-
Eustache, les boulangers et les marchands de vins ôtaient leurs volets ; les
boutiques rouges, avec leurs becs de gaz allumés, trouaient les ténèbres, le
long des maisons grises. Florent regardait une boulangerie, rue Montorgueil,
à gauche, toute pleine et toute dorée de la dernière cuisson, et il croyait sentir
la bonne odeur du pain chaud. Il était quatre heures et demie.
Cependant, madame François s’était débarrassée de sa marchandise. Il
lui restait quelques bottes de carottes, quand Lacaille reparut, avec son sac.
– Eh bien, ça va-t-il à un sou ? dit-il.
– J’étais bien sûre de vous revoir, vous, répondit tranquillement la
maraîchère. Voyons, prenez mon reste. Il y a dix-sept bottes.
– Ça fait dix-sept sous.
– Non, trente-quatre.