【Emile Zola】Le Ventre de Paris I (38)
Comme il sortait de la rue Pirouette, une voix appela Claude, du fond de
la boutique d’un marchand de vin, qui faisait le coin. Claude entra, traînant
Florent à sa suite. Il n’y avait qu’un côté des volets enlevé. Le gaz brûlait
dans l’air encore endormi de la salle ; un torchon oublié, les cartes de la
veille, traînaient sur les tables, et le courant d’air de la porte grande ouverte
mettait sa pointe fraîche au milieu de l’odeur chaude et renfermée du vin. Le
patron monsieur Lebigre servait les clients, en gilet à manches, son collier
de barbe tout chiffonné, sa grosse figure régulière toute blanche de sommeil.
Des hommes, debout, par groupes, buvaient devant le comptoir, toussant,
crachant, les yeux battus, achevant de s’éveiller dans le vin blanc et dans
l’eau-de-vie. Florent reconnut Lacaille, dont le sac, à cette heure, débordait
de légumes. Il en était à la troisième tournée, avec un camarade, qui racontait
longuement l’achat d’un panier de pommes de terre. Quand il eut vidé son
verre, il alla causer avec monsieur Lebigre, dans un petit cabinet vitré, au
fond, où le gaz n’était pas allumé.
– Que voulez-vous prendre ? demanda Claude à Florent.
En entrant, il avait serré la main de l’homme qui l’invitait. C’était un fort,
un beau garçon de vingt-deux ans au plus, rasé, ne portant que de petites
moustaches, l’air gaillard, avec son vaste chapeau enduit de craie et son
colletin de tapisserie, dont les bretelles serraient son bourgeron bleu. Claude
l’appelait Alexandre, lui tapait sur les bras, lui demandait quand ils iraient
à Charentonneau. Et ils parlaient d’une grande partie qu’ils avaient faite
ensemble, en canot, sur la Marne. Le soir, ils avaient mangé un lapin.
– Voyons, que prenez-vous ? répéta Claude.