【Emile Zola】Le Ventre de Paris I (40)
Florent le suivait, s’abandonnait. Une lueur claire, au fond de la rue
Rambuteau, annonçait le jour. La grande voix des Halles grondait plus haut ;
par instants, des volées de cloche, dans un pavillon éloigné, coupaient cette
clameur roulante et montante. Ils entrèrent sous une des rues couvertes, entre
le pavillon de la marée et le pavillon de la volaille. Florent levait les yeux,
regardait la haute voûte, dont les boiseries intérieures luisaient, entre les
dentelles noires des charpentes de fonte. Quand il déboucha dans la grande
rue du milieu, il songea à quelque ville étrange, avec ses quartiers distincts,
ses faubourgs, ses villages, ses promenades et ses routes, ses places et ses
carrefours, mise tout entière sous un hangar, un jour de pluie, par quelque
caprice gigantesque. L’ombre, sommeillant dans les creux des toitures,
multipliait la forêt des piliers, élargissait à l’infini les nervures délicates, les
galeries découpées, les persiennes transparentes ; et c’était, au-dessus de la
ville, jusqu’au fond des ténèbres, toute une végétation, toute une floraison,
monstrueux épanouissement de métal, dont les tiges qui montaient en fusée,
les branches qui se tordaient et se nouaient, couvraient un monde avec les
légèretés de feuillage d’une futaie séculaire. Des quartiers dormaient encore,
clos de leurs grilles. Les pavillons du beurre et de la volaille alignaient leurs
petites boutiques treillagées, allongeaient leurs ruelles désertes sous les files
des becs de gaz. Le pavillon de la marée venait d’être ouvert ; des femmes
traversaient les rangées de pierres blanches, tachées de l’ombre des paniers
et des linges oubliés. Aux gros légumes, aux fleurs et aux fruits, le vacarme
allait grandissant. De proche en proche, le réveil gagnait la ville, du quartier
populeux où les choux s’entassent dès quatre heures du matin, au quartier
paresseux et riche qui n’accroche des poulardes et des faisans à ses maisons
que vers les huit heures.