【Emile Zola】Le Ventre de Paris I (41)
Mais, dans les grandes rues couvertes, la vie affluait. Le long des trottoirs,
aux deux bords, des maraîchers étaient encore là, de petits cultivateurs,
venus des environs de Paris, étalant sur des paniers leur récolte de la veille
au soir, bottes de légumes, poignées de fruits. Au milieu du va-et-vient
incessant de la foule, des voitures entraient sous les voûtes, en ralentissant
le trot sonnant de leurs chevaux. Deux de ces voitures, laissées en travers,
barraient la rue. Florent, pour passer, dut s’appuyer contre un des sacs
grisâtres, pareils à des sacs de charbon, et dont l’énorme charge faisait plier
les essieux ; les sacs, mouillés, avaient une odeur fraîche d’algues marines ;
un d’eux, crevé par un bout, laissait couler un tas noir de grosses moules. À
tous les pas, maintenant, ils devaient s’arrêter. La marée arrivait, les camions
se succédaient, charriant les hautes cages de bois pleines de bourriches,
que les chemins de fer apportent toutes chargées de l’Océan. Et, pour se
garer des camions de la marée de plus en plus pressés et inquiétants, ils se
jetaient sous les roues des camions du beurre, des œufs et des fromages,
de grands chariots jaunes, à quatre chevaux, à lanternes de couleur ; des
forts enlevaient les caisses d’œufs, les paniers de fromages et de beurre,
qu’ils portaient dans le pavillon de la criée, où des employés en casquette
écrivaient sur des calepins, à la lueur du gaz. Claude était ravi de ce tumulte ;
il s’oubliait à un effet de lumière, à un groupe de blouses, au déchargement
d’une voiture. Enfin, ils se dégagèrent. Comme ils longeaient toujours la
grande rue, ils marchèrent dans une odeur exquise qui traînait autour d’eux
et semblait les suivre. Ils étaient au milieu du marché des fleurs coupées.