【Emile Zola】Le Ventre de Paris I (42)
Sur le carreau, à droite et à gauche, des femmes assises avaient devant elles
des corbeilles carrées, pleines de bottes de roses, de violettes, de dahlias,
de marguerites. Les bottes s’assombrissaient, pareilles à des taches de sang,
pâlissaient doucement avec des gris argentés d’une grande délicatesse. Près
d’une corbeille, une bougie allumée mettait là, sur tout le noir d’alentour,
une chanson aiguë de couleur, les panachures vives des marguerites, le rouge
saignant des dahlias, le bleuissement des violettes, les chairs vivantes des
roses. Et rien n’était plus doux ni plus printanier que les tendresses de ce
parfum rencontrées sur un trottoir, au sortir des souffles âpres de la marée
et de la senteur pestilentielle des beurres et des fromages.
Claude et Florent revinrent sur leurs pas, flânant, s’attardant au milieu
des fleurs. Ils s’arrêtèrent curieusement devant des femmes qui vendaient
des bottes de fougère et des paquets de feuilles de vigne, bien réguliers,
attachés par quarterons. Puis ils tournèrent dans un bout de rue couverte,
presque désert, où leurs pas sonnaient comme sous la voûte d’une église.
Ils y trouvèrent, attelé à une voiture grande comme une brouette, un
tout petit âne qui s’ennuyait sans doute, et qui se mit à braire en les
voyant, d’un ronflement si fort et si prolongé, que les vastes toitures des
Halles en tremblaient. Des hennissements de chevaux répondirent ; il y
eut des piétinements, tout un vacarme au loin, qui grandit, roula, alla
se perdre. Cependant, en face d’eux, rue Berger, les boutiques nues des
commissionnaires, grandes ouvertes, montraient, sous la clarté vive du
gaz, des amas de paniers et de fruits, entre les trois murs sales couverts
d’additions au crayon. Et comme ils étaient là, ils aperçurent une dame bien
mise, pelotonnée d’un air de lassitude heureuse dans le coin d’un fiacre,
perdu au milieu de l’encombrement de la chaussée, et filant sournoisement.