【Emile Zola】Le Ventre de Paris I (57)
– Vous étiez si bonne pour elle... Elle devrait gagner de l’argent ; les
fruits sont avantageux, cette année... Et votre beau-frère ?
– Oh ! lui...
Madame Lecœur pinça les lèvres et parut ne pas vouloir en dire
davantage.
– Toujours le même, hein ? continua mademoiselle Saget. C’est un bien
brave homme... Je me suis laissé dire qu’il mangeait son argent d’une
façon...
– Est-ce qu’on sait s’il mange son argent ! dit brutalement madame
Lecœur. C’est un cachotier, c’est un ladre, c’est un homme, voyez-vous,
mademoiselle, qui me laisserait crever plutôt que de me prêter cent sous...
Il sait parfaitement que les beurres, pas plus que les fromages et les œufs,
n’ont marché cette saison. Lui, vend toute la volaille qu’il veut... Eh bien,
pas une fois, non, pas une fois, il ne m’aurait offert ses services. Je suis bien
trop fière pour accepter, vous comprenez, mais ça m’aurait fait plaisir.
– Eh ! le voilà, votre beau-frère, reprit mademoiselle Saget, en baissant
la voix.
Les deux femmes se tournèrent, regardèrent quelqu’un qui traversait la
chaussée pour entrer sous la grande rue couverte.
– Je suis pressée, murmura madame Lecœur, j’ai laissé ma boutique toute
seule. Puis, je ne veux pas lui parler.
Florent s’était aussi retourné, machinalement. Il vit un petit homme,
carré, l’air heureux, les cheveux gris et taillés en brosse, qui tenait sous
chacun de ses bras une oie grasse, dont la tête pendait et lui tapait sur
les cuisses. Et, brusquement, il eut un geste de joie ; il courut derrière cet
homme, oubliant sa fatigue. Quand il l’eut rejoint :
– Gavard ! dit-il, en lui frappant sur l’épaule.