【Emile Zola】Le Ventre de Paris I (56)
Aveuglé, noyé, les oreilles sonnantes, l’estomac écrasé par tout ce qu’il
avait vu, devinant de nouvelles et incessantes profondeurs de nourriture, il
demanda grâce, et une douleur folle le prit, de mourir ainsi de faim, dans
Paris gorgé, dans ce réveil fulgurant des Halles. De grosses larmes chaudes
jaillirent de ses yeux.
Il était arrivé à une allée plus large. Deux femmes, une petite vieille et une
grande sèche, passèrent devant lui, causant, se dirigeant vers les pavillons.
– Et vous êtes venue faire vos provisions, mademoiselle Saget ? demanda
la grande sèche.
– Oh ! madame Lecœur, si on peut dire... Vous savez, une femme seule.
Je vis de rien... J’aurais voulu un petit chou-fleur, mais tout est si cher...
Et le beurre, à combien, aujourd’hui ?
– Trente-quatre sous... J’en ai du bien bon. Si vous voulez venir me
voir...
– Oui, oui, je ne sais pas, j’ai encore un peu de graisse...
Florent, faisant un effort suprême, suivait les deux femmes. Il se
souvenait d’avoir entendu nommer la petite vieille par Claude, rue
Pirouette ; il se disait qu’il la questionnerait, quand elle aurait quitté la
grande sèche.
– Et votre nièce ? demanda mademoiselle Saget.
– La Sarriette fait ce qu’il lui plaît, répondit aigrement madame Lecœur.
Elle a voulu s’établir. Ça ne me regarde plus. Quand les hommes l’auront
grugée, ce n’est pas moi qui lui donnerai un morceau de pain.