【Emile Zola】Le Ventre de Paris I (55)
Il leva une dernière fois les yeux, il regarda les Halles. Elles flambaient
dans le soleil. Un grand rayon entrait par le bout de la rue couverte, au
fond, trouant la masse des pavillons d’un portique de lumière ; et, battant
la nappe des toitures, une pluie ardente tombait. L’énorme charpente de
fonte se noyait, bleuissait, n’était plus qu’un profil sombre sur les flammes
d’incendie du levant. En haut, une vitre s’allumait, une goutte de clarté
roulait jusqu’aux gouttières, le long de la pente des larges plaques de zinc.
Ce fut alors une cité tumultueuse dans une poussière d’or volante. Le réveil
avait grandi, du ronflement des maraîchers, couchés sous leurs limousines,
au roulement plus vif des arrivages. Maintenant, la ville entière repliait ses
grilles ; les carreaux bourdonnaient, les pavillons grondaient ; toutes les
voix donnaient, et l’on eût dit l’épanouissement magistral de cette phrase
que Florent, depuis quatre heures du matin, entendait se traîner et se grossir
dans l’ombre. À droite, à gauche, de tous côtés, des glapissements de criée
mettaient des notes aiguës de petite flûte, au milieu des basses sourdes de
la foule. C’était la marée, c’étaient les beurres, c’était la volaille, c’était la
viande. Des volées de cloche passaient, secouant derrière elles le murmure
des marchés qui s’ouvraient. Autour de lui, le soleil enflammait les légumes.
Il ne reconnaissait plus l’aquarelle tendre des pâleurs de l’aube. Les cœurs
élargis des salades brûlaient, la gamme du vert éclatait en vigueurs superbes,
les carottes saignaient, les navets devenaient incandescents, dans ce brasier
triomphal. À sa gauche, des tombereaux de choux s’éboulaient encore. Il
tourna les yeux, il vit, au loin, des camions qui débouchaient toujours de
la rue Turbigo. La mer continuait à monter. Il l’avait sentie à ses chevilles,
puis à son ventre ; elle menaçait, à cette heure, de passer par-dessus sa tête.