【Emile Zola】Le Ventre de Paris I (62)
– C’est Florent, c’est mon frère, répétait Quenu.
Elle l’appela « monsieur, » fut très bonne. Elle le regardait paisiblement,
de la tête aux pieds, sans montrer aucune surprise malhonnête. Ses lèvres
seules avaient un léger pli. Et elle resta debout, finissant par sourire des
embrassades de son mari. Celui-ci pourtant parut se calmer. Alors il vit la
maigreur, la misère de Florent.
– Ah ! mon pauvre ami, dit-il, tu n’as pas embelli, là-bas... Moi, j’ai
engraissé, que veux-tu !
Il était gras, en effet, trop gras pour ses trente ans. Il débordait dans
sa chemise, dans son tablier, dans ses linges blancs qui l’emmaillotaient
comme un énorme poupon. Sa face rasée s’était allongée, avait pris à la
longue une lointaine ressemblance avec le groin de ces cochons, de cette
viande, où ses mains s’enfonçaient et vivaient, la journée entière. Florent le
reconnaissait à peine. Il s’était assis, il passait de son frère à la belle Lisa, à la
petite Pauline. Ils suaient la santé ; ils étaient superbes, carrés, luisants ; ils le
regardaient avec l’étonnement de gens très gras pris d’une vague inquiétude
en face d’un maigre. Et le chat lui-même, dont la peau pétait de graisse,
arrondissait ses yeux jaunes, l’examinait d’un air défiant.
– Tu attendras le déjeuner, n’est-ce pas ? demanda Quenu. Nous
mangeons de bonne heure, à dix heures.
Une odeur forte de cuisine traînait. Florent revit sa nuit terrible, son
arrivée dans les légumes, son agonie au milieu des Halles, cet éboulement
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continu de nourriture auquel il venait d’échapper. Alors, il dit à voix basse,
avec un sourire doux :
– Non, j’ai faim, vois-tu.