【Emile Zola】Le Ventre de Paris II (2)
Quand Florent arriva au Vigan, sa mère était enterrée. Elle avait exigé
qu’on lui cachât sa maladie jusqu’au dernier moment, pour ne pas le
déranger dans ses études. Il trouva le petit Quenu, qui avait douze ans,
sanglotant tout seul au milieu de la cuisine, assis sur une table. Un marchand
de meubles, un voisin, lui conta l’agonie de la malheureuse mère. Elle en
était à ses dernières ressources, elle s’était tuée au travail pour que son fils
pût faire son droit. À un petit commerce de rubans d’un médiocre rapport,
elle avait dû joindre d’autres métiers qui l’occupaient fort tard. L’idée fixe
de voir son Florent avocat, bien posé dans la ville, finissait par la rendre dure,
avare, impitoyable pour elle-même et pour les autres. Le petit Quenu allait
avec des culottes percées, des blouses dont les manches s’effiloquaient ; il
ne se servait jamais à table, il attendait que sa mère lui eût coupé sa part de
pain. Elle se taillait des tranches tout aussi mince. C’était à ce régime qu’elle
avait succombé, avec le désespoir immense de ne pas achever sa tâche.
Cette histoire fit une impression terrible sur le caractère tendre de Florent.
Les larmes l’étouffaient. Il prit son frère dans ses bras, le tint serré, le baisa
comme pour lui rendre l’affection dont il l’avait privé. Et il regardait ses
pauvres souliers crevés, ses coudes troués, ses mains sales, toute cette misère
d’enfant abandonné. Il lui répétait qu’il allait l’emmener, qu’il serait heureux
avec lui. Le lendemain, quand il examina la situation, il eut peur de ne
pouvoir même réserver la somme nécessaire pour retourner à Paris. À aucun
prix, il ne voulait rester au Vigan. Il céda heureusement la petite boutique
de rubans ce qui lui permit de payer les dettes que sa mère, très rigide sur les
questions d’argent, s’était pourtant laissée peu à peu entraîner à contracter.