【Emile Zola】Le Ventre de Paris II (3 )
Et comme il ne lui restait rien, le voisin, le marchand de meubles, lui offrit
cinq cents francs du mobilier et du linge de la défunte. Il faisait une bonne
affaire. Le jeune homme le remercia, les larmes aux yeux. Il habilla son frère
à neuf, l’emmena, le soir même.
À Paris, il ne pouvait plus être question de suivre les cours de l’École
de droit. Florent remit à plus tard toute ambition. Il trouva quelques leçons,
s’installa avec Quenu, rue Royer-Collard, au coin de la rue Saint-Jacques,
dans une grande chambre qu’il meubla de deux lits de fer, d’une armoire,
d’une table et de quatre chaises. Dès lors, il eut un enfant. Sa paternité
le charmait. Dans les premiers temps, le soir, quand il rentrait, il essayait
de donner des leçons au petit ; mais celui-ci n’écoutait guère ; il avait la
tête dure, refusait d’apprendre, sanglotant, regrettant l’époque où sa mère le
laissait courir les rues. Florent, désespéré, cessait la leçon, le consolait, lui
promettait des vacances indéfinies. Et pour s’excuser de sa faiblesse, il se
disait qu’il n’avait pas pris le cher enfant avec lui dans le but de le contrarier.
Ce fut sa règle de conduite, le regarder grandir en joie. Il l’adorait, était
ravi de ses rires, goûtait des douceurs infinies à le sentir autour de lui, bien
portant, ignorant de tout souci. Florent restait mince dans ses paletots noirs
rapés, et son visage commençait à jaunir, au milieu des taquineries cruelles
de l’enseignement. Quenu devenait un petit bonhomme tout rond, un peu
bêta, sachant à peine lire et écrire, mais d’une belle humeur inaltérable qui
emplissait de gaieté la grande chambre sombre de la rue Royer-Collard.