【Emile Zola】Le Ventre de Paris III (9)
Il reprit haleine, tournant la manne, l’avançant sur la table de pierre,
tandis que des poissonnières se penchaient, touchaient le turbot, légèrement,
du bout du doigt. Puis, il repartit, avec une furie nouvelle, jetant un chiffre
de la main à chaque enchérisseur, surprenant les moindres signes, les
doigts levés, les haussements de sourcils, les avancements de lèvres, les
clignements d’yeux ; et cela avec une telle rapidité, un tel bredouillement,
que Florent, qui ne pouvait le suivre, resta déconcerté quand le bossu, d’une
voix plus chantante, psalmodia d’un ton de chantre qui achève un verset :
– Quarante-deux ! quarante-deux !… à quarante-deux francs le turbot !
C’était la belle Normande qui avait mis la dernière enchère. Florent la
reconnut, sur la ligne des poissonnières, rangées contre les tringles de fer qui
fermaient l’enceinte de la criée. La matinée était fraîche. Il y avait là une file
de palatines, un étalage de grands tabliers blancs, arrondissant des ventres,
des gorges, des épaules énormes. Le chignon haut, tout garni de frisons, la
chair blanche et délicate, la belle Normande montrait son nœud dentelle, au
milieu des tignasses crépues, coiffées d’un foulard, des nez d’ivrognesses,
des bouches insolemment fendues, des faces égueulées comme des pots
cassés. Elle aussi reconnut le cousin de madame Quenu, surprise de le voir
là, au point d’en chuchoter avec ses voisines.