【Emile Zola】Le Ventre de Paris III (10)
Le vacarme des voix devenait tel, que monsieur Verlaque renonça à ses
explications. Sur le carreau, des hommes annonçaient les grands poissons,
avec des cris prolongés qui semblaient sortir de porte-voix gigantesques ;
un surtout qui hurlait : « La moule ! la moule ! » d’une clameur rauque
et brisée, dont les toitures des Halles tremblaient. Les sacs de moules,
renversés, coulaient dans des paniers ; on en vidait d’autres à la pelle.
Les mannes défilaient, les raies, les soles, les maquereaux, les congres, les
saumons, apportés et remportés par les compteurs-verseurs, au milieu des
bredouillements qui redoublaient, et de l’écrasement des poissonnières qui
faisaient craquer les barres de fer. Le crieur, le bossu, allumé, battant l’air de
ses bras maigres, tendait les mâchoires en avant. À la fin, il monta sur un
escabeau, fouetté par les chapelets de chiffres qu’il lançait à toute volée, la
bouche tordue, les cheveux en coup de vent, n’arrachant plus à son gosier
séché qu’un sifflement inintelligible. En haut, l’employé des perceptions
municipales, un petit vieux tout emmitouflé dans un collet de faux astrakan,
ne montrait que son nez, sous sa calotte de velours noir ; et la grande
tablettière brune, sur sa haute chaise de bois, écrivait paisiblement, les yeux
calmes dans sa face un peu rougie par le froid, sans seulement battre des
paupières, aux bruits de crécelle du bossu, qui montaient le long de ses jupes.
– Ce Logre est superbe, murmura monsieur Verlaque en souriant. C’est
le meilleur crieur du marché… Il vendrait des semelles de bottes pour des
paires de soles.