【Emile Zola】Le Ventre de Paris III (17)
Le premier jour, Gavard donna à Florent quelques détails sur monsieur
Lebigre. C’était un brave homme qui venait parfois prendre son café avec
eux. On ne se gênait pas devant lui, parce qu’il avait dit un jour qu’il
s’était battu en 48. Il causait peu, paraissait bêta. En passant, avant d’entrer
dans le cabinet, chacun de ces messieurs lui donnait une poignée de main
silencieuse, par-dessus les verres et les bouteilles. Le plus souvent, il avait à
côté de lui, sur la banquette de cuir rouge, une petite femme blonde, une fille
qu’il avait prise pour le service du comptoir, outre le garçon à tablier blanc
qui s’occupait des tables et du billard. Elle se nommait Rose, était très douce,
très soumise. Gavard, clignant de l’œil, raconta à Florent qu’elle poussait
la soumission fort loin avec le patron. D’ailleurs, ces messieurs se faisaient
servir par Rose, qui entrait et qui sortait, de son air humble et heureux, au
milieu des plus orageuses discussions politiques.
Le jour où le marchand de volailles présenta Florent à ses amis, ils
ne trouvèrent, en entrant dans le cabinet vitré, qu’un monsieur d’une
cinquantaine d’années, à l’air pensif et doux, avec un chapeau douteux et
un grand par-dessus marron. Le menton appuyé sur la pomme d’ivoire d’un
gros jonc, en face d’une chope pleine, il avait la bouche tellement perdue au
fond d’une forte barbe, que sa face semblait muette et sans lèvres.
– Comment va, Robine ? demanda Gavard.