【Emile Zola】Le Ventre de Paris III (23)
– Elle est belle, sa prospérité, dit Charvet. Tout le monde crève la faim.
– Le commerce va très mal, affirma Gavard.
– Et puis qu’est-ce que c’est que ça, un monsieur « appuyé sur des
lumières ? » reprit Clémence, qui se piquait de littérature.
Robine lui-même laissa échapper un petit rire, du fond de sa barbe. La
conversation s’échauffait. On en vint au corps législatif, qu’on traita très
mal. Logre ne décolérait pas, Florent retrouvait en lui le beau crieur du
pavillon de la marée, la mâchoire en avant, les mains jetant les mots dans
le vide, l’attitude ramassée et aboyante ; il causait ordinairement politique
de l’air furibond dont il mettait une manne de soles aux enchères. Charvet,
lui, devenait plus froid, dans la buée des pipes et du gaz, dont s’emplissait
l’étroit cabinet ; sa voix prenait des sécheresses de couperet, pendant que
Robine dodelinait doucement de la tête, sans que son menton quittât l’ivoire
de sa canne. Puis, sur un mot de Gavard, on arriva à parler des femmes.
– La femme, déclara nettement Charvet, est l’égale de l’homme ; et, à ce
titre, elle ne doit pas le gêner dans la vie. Le mariage est une association…
Tout par moitié, n’est-ce pas, Clémence ?
– Évidemment, répondit la jeune femme, la tête contre la cloison, les yeux
en l’air.