【Emile Zola】Le Ventre de Paris III (30)
À son banc, elle révolutionnait parfois le marché, haussant ou baissant les prix, sans qu’on
s’expliquât pourquoi. Vers la trentaine, sa finesse de nature, sa peau mince
que l’eau des viviers rafraîchissait éternellement, sa petite face d’un dessin
noyé, ses membres souples, devaient s’épaissir, tomber à l’avachissement
d’une sainte de vitrail, encanaillée dans les Halles. Mais, à vingt-deux ans,
elle restait un Murillo, au milieu de ses carpes et de ses anguilles, selon le
mot de Claude Lantier, un Murillo décoiffé souvent, avec de gros souliers,
des robes taillées à coups de hache qui l’habillaient comme une planche.
Elle n’était pas coquette ; elle se montrait très méprisante, quand Louise,
étalant ses nœuds de ruban, la plaisantait sur ses fichus noués de travers.
On racontait que le fils d’un riche boutiquier du quartier voyageait de rage,
n’ayant pu obtenir d’elle une bonne parole.
Louise, la belle Normande, s’était montrée plus tendre. Son mariage se
trouvait arrêté avec un employé de la Halle au blé, lorsque le malheureux
garçon eut les reins cassés par la chute d’un sac de farine. Elle n’en
accoucha pas moins sept mois plus tard d’un gros enfant. Dans l’entourage
des Méhudin, on considérait la belle Normande comme veuve. La vieille
poissonnière disait parfois : « Quand mon gendre vivait… »