【Emile Zola】Le Ventre de Paris III (29)
La mère Méhudin, selon les commérages du quartier, devait avoir fait une
grosse fortune. Il n’y paraissait guère qu’aux bijoux d’or massif dont elle
se chargeait le cou, les bras et la taille, dans les grands jours. Plus tard, ses
deux filles ne s’entendirent pas. La cadette, Claire, une blonde paresseuse,
se plaignait des brutalités de Louise, disait de sa voix lente qu’elle ne serait
jamais la bonne de sa sœur. Comme elles auraient certainement fini par se
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battre, la mère les sépara. Elle céda à Louise son banc de marée. Claire,
que l’odeur des raies et des harengs faisait tousser, s’installa à un banc de
poissons d’eau douce. Et, tout en ayant juré de se retirer, la mère allait d’un
banc à l’autre, se mêlant encore de la vente, causant de continuels ennuis à
ses filles par ses insolences trop grasses.
Claire était une créature fantasque, très douce, et en continuelle querelle.
Elle n’en faisait jamais qu’à sa tête, disait-on. Elle avait, avec sa figure
rêveuse de vierge, un entêtement muet, un esprit d’indépendance qui la
poussait à vivre à part, n’acceptant rien comme les autres, d’une droiture
absolue un jour, d’une injustice révoltante le lendemain.