【Emile Zola】Le Ventre de Paris III (32)
Mais, un matin, fatalement, la guerre éclata. Ce jour-là, Florent,
en arrivant devant le banc de la belle Normande, sentit une puanteur
insupportable. Il y avait là, sur le marbre, un saumon superbe, entamé,
montrant la blondeur rose de sa chair ; des turbots d’une blancheur de crème ;
des congres, piqués de l’épingle noire qui sert à marquer les tranches ; des
paires de soles, des rougets, des bars, tout un étalage frais. Et, au milieu de
ces poissons à l’œil vif, dont les ouïes saignaient encore, s’étalait une grande
raie, rougeâtre, marbrée de taches sombres, magnifique de tons étranges ;
la grande raie était pourrie, la queue tombait, les baleines des nageoires
perçaient la peau rude.
– Il faut jeter cette raie, dit Florent en s’approchant.
La belle Normande eut un petit rire. Il leva les yeux, il l’aperçut debout,
appuyée au poteau de bronze des deux becs de gaz qui éclairent les quatre
places de chaque banc. Elle lui parut très grande, montée sur quelque caisse,
pour protéger ses pieds de l’humidité. Elle pinçait les lèvres, plus belle
encore que de coutume, coiffée avec des frisons, la tête sournoise, un peu
basse, les mains trop roses dans la blancheur du grand tablier. Jamais il ne
lui avait tant vu de bijoux : elle portait de longues boucles d’oreilles, une
chaîne de cou, une broche, des enfilades de bagues à deux doigts de la main
gauche et à un doigt de la main droite.